« Jésus n’a pas existé », c’est ce qu’un fâcheux prétend au début de cette sympathique bande dessinée. L’enquête qui suit apportera d’impressionnantes preuves de l’existence de Jésus.
C’est bien connu, on peut trouver n’importe quoi sur internet. Un livre a davantage de crédibilité, surtout quand il est publié par un éditeur prestigieux. C’est le cas du Cerf, éditeur réputé pour les questions religieuses.
Nous allons parcourir www.Jésus Qui ? L’enquête historique que Brunor a publié au Cerf en 2004.
Pour son « enquête historique » Brunor a puisé dans un des ouvrages de sa bibliographie : Vittorio Messori Hypothèses sur Jésus, Mame 1974. Le livre de Messori contient des erreurs et des affirmations hasardeuses, difficiles à détecter puisque l’auteur ne juge pas utile de donner de référence[1].
Le livre de Messori a connu une diffusion considérable puisqu’il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Les erreurs qu’il contient se diffusent, apparemment sans contradiction, depuis plus de quarante ans.
Brunor reprend tout cela en commettant des erreurs, petites et grandes, en amplifiant les approximations de Messori. Le résultat s’apparente nettement à de la désinformation. Je trouve cela assez étonnant pour un éditeur qui a les moyens de s’offrir un correcteur compétent.
Le site de l’éditeur indique qu’il s’agit d’un « livre religieux pour les enfants ».
Nous confronterons ce qu’affirment Brunor et Messori avec le point de vue d’historiens renommés spécialistes du Jésus historique. Pour cela nous consulterons John P. Meier, Raymond E. Brown et Maurice Goguel.
L’existence de Nazareth à l’époque de Jésus
Commençons par le plus simple : l’erreur factuelle.
À la page 53, Brunor prouve que le village de Nazareth existait à l’époque de Jésus :
Brunor tire très probablement son information de Messori qui dit la même chose : « En 1962, cependant, une équipe d’archéologues israéliens dirigée par le professeur Avi Jonah de l’université de Jérusalem, effectua une campagne de fouilles parmi les ruines de Césarée maritime, séjour des procurateurs romains de Judée. De ces ruines, les archéologues retirèrent une pierre gravée, en marbre gris, d’environ quinze centimètres sur douze, portant quatre ligne d’une inscription en écriture hébraïque ancienne, qui assurément n’était point postérieure au troisième siècle avant le Christ. Sur cet antique marbre, gravé donc trois cents ans avant Jésus, la surprise! le nom d’une localité, celui de Nazareth… Pour la première fois était acquise, scientifiquement, la certitude que cette ville existait bien au temps de Jésus. Dans la fosse creusée par les archéologues israéliens s’effondraient les innombrables théories échafaudées afin d’expliquer les raisons pour lesquelles les Évangiles auraient inventé un lieu nommé Nazareth. » Messori page 196.
Tout cela est exact, à un mot près. Ce n’est pas le troisième siècle avant Jésus-Christ mais le troisième siècle après Jésus-Christ. On en trouve la confirmation chez Meier[2]. Il s’ensuit que le passage de Brunor sur Nazareth ne vaut rien.
Il est facile de vérifier que cette erreur se propage sur le net : certains sites donnent le troisième siècle avant Jésus-Christ, d’autres troisième siècle après Jésus-Christ.
Je me demande comment et pourquoi le Cerf a laissé passer une erreur aussi flagrante.
La quantité de manuscrits du Nouveau Testament
Continuons avec une remarque sans aucune portée et légèrement enjolivée.
Les défenseurs de l’existence de Jésus signalent souvent que les manuscrits des évangiles, et plus généralement du Nouveau Testament, sont plus nombreux et plus anciens que les manuscrits de n’importe quelle autre œuvre antique. Et de très loin.
C’est exact mais cela ne montre qu’une chose, que les évangiles sont les œuvres de l’antiquité qui ont connu la plus grande diffusion. Cela n’indique pas que l’histoire de Jésus est une histoire vraie.
À la page 67, Brunor développe ce thème : les manuscrits du Nouveau Testament sont au nombre de « cinq mille en grec et huit mille dans d’autres langues » (page 67). En fait la plupart de ces manuscrits datent du moyen-âge, ce qui limite encore le très faible intérêt de cette question de quantité.
Flavius Josèphe
Passons maintenant à des éléments plus consistants, et un peu plus délicats à examiner.
L’enquête de Brunor commence avec la recherche de sources non chrétiennes sur l’existence de Jésus. La première d’entre elle est fournie par Flavius Josèphe, historien juif de la fin du premier siècle.
Première objection :
L’authenticité de ce passage a effectivement été sérieusement contestée. J’en ai déjà parlé ici, à la troisième minute.
Ce qui suit doit nous rassurer :
La conviction de Brunor est emportée par le fait que le texte de Josèphe, le Testimonium Flavianum se trouve dans « dans un ouvrage arabe du Xe siècle ». Pour Brunor, « ça change tout ! » Et pourquoi est-ce que « ça change tout ! » ?
Le lecteur a compris. Cela change tout parce que le texte est écrit par Agapios qui est un auteur qui est un arabe du Xe siècle et qui n’est donc pas un chrétien. N’est-ce pas ? Le lecteur non prévenu ne peut pas comprendre autre chose. Eh bien non. Agapios était un auteur arabe du Xe siècle et un chrétien, et même un évêque[3].
Alors, finalement, un auteur chrétien de plus mentionne le Testimonium Flavianum. Cela ne change rien au problème de son authenticité. Agapios ou pas, le Testimonium Flavianum n’est pas une preuve de l’existence de Jésus.
La présentation de Brunor pose un autre problème. Les plus anciennes mentions du Testimonium Flavianum datent du IVe siècle et Agapios le cite au Xe siècle dans une version sensiblement différente. Brunor dit qu’elle est « considérée comme authentique ». C’est très controversé. J’ai dit pourquoi dans Une invention nommée Jésus. On peut aussi consulter Meier, un des meilleurs spécialistes du Jésus historique[4].
Cela suffit néanmoins à Brunor pour estimer qu’il s’agit d’une « certitude » (page 35) en faveur de l’existence de Jésus.
Et puis Brunor commet une petite erreur. S’il est exact que les manuscrits des œuvres de Josèphe ont été recopiés par des Chrétiens, cela s’est produit bien avant les moines copistes et bien avant les enluminures puisque le Testimonium Flavianum est attesté par des auteurs chrétiens dès le IVe siècle.
Brunor revient sur le témoignage de Flavius Josèphe à la page 37 pour confirmer encore son authenticité.
Le passage de Messori qui a manifestement servi de source à Brunor est plus clair :
« Flavius Josèphe, écrivant vers 93 ses « Antiquités Judaïques », parle de lui. Et non seulement dans le célèbre passage (le Testimonium Flavianum) dont nous allons nous occuper. Très importante est en effet la ligne où il est fait allusion à l’exécution d’un certain Jacques. Que Flavius Josèphe désigne comme « le frère de Jésus, le soi-disant Christ ». Une allusion qui ne peut être une interpolation chrétienne tardive: car, selon toute probabilité, on n’aurait point dans ce cas parlé de « frère de Jésus » mais bien de « cousin », étant donné la polémique qui avait déjà déchiré l’Église à propos de « frères et sœurs de Jésus ». Et un pieux faussaire n’aurait certes pas non plus désigné son Dieu comme « le soi-disant Christ » ». Page 202.
Brunor montre qu’il n’a guère approfondi le sujet et qu’il a mal lu Messori puisqu’il commet une petite erreur[5]. Il reprend ensuite l’argumentation de Messori très critiquable.
Un copiste chrétien (pas un moine) n’aurait pas désigné Jésus comme le « soi-disant Christ ». C’est indéniable. Seulement Josèphe n’a pas écrit « Jésus, le soi-disant Christ », Josèphe a écrit « Jésus, qu’on appelle le Christ » et ce n’est pas du tout la même chose. On peut certes discuter de la traduction du grec au français mais il est tout-à-fait certain que cette formule n’est pas péjorative puisque Jésus est désigné de la même façon, avec les mêmes mots grecs dans l’évangile selon Matthieu : Matthieu 1,16 : « Joseph, époux de Marie, de laquelle naquit Jésus appelé le Christ ». Les évangiles étant consacrés à la plus grande gloire de Jésus, on peut assurer qu’il n’y a ici rien de désobligeant pour Jésus.
Brunor évoque la réticence des Chrétiens à parler de « frères » de Jésus[6]. En effet les évangiles affirment que Marie était vierge à la naissance de Jésus. Plus tard, des Chrétiens ont cru que Marie est restée vierge et que Jésus n’a donc pas eu de frère. Cette croyance « est sans doute ancienne puisqu’elle est présente dans le Protoévangile de Jacques du milieu du IIe siècle, même si la première mention officielle n’apparaît qu’en 374 »[7]. Ce n’est cependant qu’au Ve siècle que l’existence de frères et de sœurs de Jésus a été considérée comme hérétique et clairement condamnée. En 380 à Rome, Helvidius nie encore ouvertement la virginité perpétuelle de Marie[8].
Bref, comme le dit Messori, l’interpolation chrétienne ne peut certes pas être tardive mais elle peut être précoce, elle est donc possible.
Tacite, Suétone et Pline le Jeune
À la page 35, les témoignages de Tacite, Suétone et Pline le Jeune sont cités sans le moindre commentaire et présentés comme des « certitudes ». Il aurait été bon de préciser que ces auteurs écrivent presqu’un siècle après l’époque de Jésus et qu’on ne sait pas d’où vient leur information. J’en ai parlé ici.
Mara bar Sarapion et Thallus
À la page 38, Brunor nous présente les deux plus anciennes preuves de l’existence de Jésus.
Une lettre d’« un syriaque : Mara bar Sarapion » (petite erreur[10]) qui daterait de l’an 73. Le renseignement vient de Vittorio Messori[11] qui comme à son habitude choisit la plus ancienne des dates envisageables. Les historiens ne sont pas de cet avis. Consultons Raymond E. Brown, un des meilleurs spécialistes du Jésus historique[12]. Il en ressort que les datations proposées par les historiens sont
– 72-74
– avant la fin du IIe siècle
– environ 260.
À la page suivante, Brunor présente une autre preuve, encore plus ancienne : « Thallus, chroniqueur samaritain, a rédigé vers l’an 60 une polémique contre les chrétiens au sujet de la nature des « ténèbres » qui auraient accompagné la mort de Jésus. » Le renseignement vient de Vittorio Messori[13].
Consultons donc un autre spécialiste du Jésus historique, Maurice Goguel (1880-1955)[14]. Il en ressort que le renseignement provient d’une lecture audacieuse des Antiquités juives de Flavius Josèphe où il est question (en l’an 37) d’un « autre Samaritain ». Comme il n’y a pas de Samaritain dans ce qui précède, on a corrigé le texte. Au lieu de « autre Samaritain » (allos Samareos), on lit « Thallus Samaritain » (Thallos Samareos), ce que n’indique aucun manuscrit. On a ensuite supposé qu’il s’agit du Thallus qui nous intéresse, la seule raison d’identifier ces deux personnages étant qu’ils portent le même nom. Et puisqu’il vivait en 37, Thallus a pu écrire aux environs de l’an 60. C’est pour cela et uniquement pour cela que Thallus est un chroniqueur samaritain qui écrit vers l’an 60.
La datation de la lettre de Mara bar Sérapion est aussi hypothétique que celle de l’écrit de Thallus[15]. Comme le seul intérêt de ces deux documents est leur grande ancienneté, on conclura qu’il ne s’agit pas de preuves ni même d’indices de l’existence de Jésus.
Brunor estime avoir suffisamment prouvé l’existence de Jésus. Il passe alors à quelques questions dont
le manuscrit 7Q5
À la page 71, Brunor nous présente 7Q5 un autre classique de l’existence de Jésus. J’ai dit ici pourquoi il est très douteux que ce manuscrit effectivement ancien contienne un extrait de l’évangile selon Marc. Cela n’empêche pas Brunor d’affirmer sans précaution que « le fragment 7Q5 a été identifié comme une copie grecque de Marc 6,52-53. »
Ce manuscrit est un des manuscrits de la mer Morte, trouvés dans des grottes à Qumrân. Cela donne l’occasion à Brunor de commettre une autre petite erreur : ces manuscrits ont été cachés dans des grottes qui ont été oubliées et pas « murées ».
Retour à l’accueil
[1] « De notes, d’ailleurs, les improbables lecteurs spécialisés n’en ont nul besoin: ils savent bien où contrôler, s’ils le désirent, les affirmations sur lesquelles je m’appuie. Les autres, les « profanes » comme moi, il leur suffira de savoir que tout ce que je cite est cité à la lettre, sans déformations intentionnelles. Que pour toute information donnée il serait toujours possible de fournir la ou les sources. » Messori page 14.
[2] « Une inscription hébraïque, trouvée à Césarée en 1962 et datant des environs du IVe siècle de notre ère, énumère Nazareth comme l’un des villages dans lesquels ont résidé les classes sacerdotales après la révolte juive. » John P. Meier, Un certain Juif Jésus., Tome 1, note 137 page 178.
L’anachronisme est assez net puisque la révolte juive est soit celle de 66-70 après Jésus-Christ, soit celle de 132-135, toujours après Jésus-Christ. L’inscription ne peut donc pas dater du IIIe avant Jésus-Christ.
[3] Confirmation dans deux des dix ouvrages composant la bibliographie de Brunor : Serge Bardet. Le Testimonium Flavianum, page 125 et Vittorio Messori. Hypothèses sur Jésus, page 202.
[4] « Feldman croit qu’Agapios a utilisé à la fois Josèphe et d’autres sources et les a combinées. “Nous pouvons… conclure que l’extrait d’Agapios n’est guère décisif du fait qu’il contient différents éléments, notamment des changements dans l’ordre des éléments, indiquant qu’il s’agit d’une paraphrase plutôt que d’une traduction.” Nodet pense qu’Agapios représente une tradition déformée du texte d’Eusèbe qu’on trouve dans l’Histoire ecclésiastique. Pour ma part, je doute que le manuscrit arabe du Xe siècle ait gardé la forme originale du Testimonium, en particulier parce qu’il contient des phrases qui, comme je viens juste de le dire, sont probablement des développements plus tardifs ou des variantes du texte. De fait, Bammel pense que le texte du Testimonium était bien plus sujet à résumés et à développements en Orient qu’en Occident. Zvi Baras: “Bien qu’il ne soit pas considéré comme le texte authentique de Josèphe, il nous fournit un exemple d’une autre tentative, plus modérée, de christianiser le texte original…” »
John P. Meier, Un certain Juif Jésus., Tome 1, note 37 page 295.
[5] Brunor écrit que Jacques, frère de Jésus, apparaît dans le Testimonium Flavianum. Non, le Testimonium Flavianum est un passage du livre de Josèphe Les Antiquités juives de Josèphe. Jacques apparaît dans un autre passage des Antiquités juives.
[7] Simon Claude Mimouni, Jacques le Juste, Frère de Jésus de Nazareth. Bayard, 2015. Page 128.
[8] Simon Claude Mimouni, Jacques le Juste, Frère de Jésus de Nazareth. Bayard, 2015. Page 131.
[9] Jésus apparaît dans le Testimonium Flavianum qui est un passage des Antiquités juives de Flavius Josèphe. Jacques apparaît bien dans les Antiquités juives de Flavius Josèphe mais pas dans le Testimonium Flavianum. La formulation de Messori est effectivement ambiguë et Brunor a dû la lire un peu vite.
[10] La lettre de Mara bar Sérapion est écrite en langue syriaque. Le syriaque est une langue, ce n’était ni un peuple ni une nationalité.
[11] « Il s’agit de la lettre qu’un historien mineur, non chrétien, un certain Mara Bar Sarapion, écrivit en 73 à son fils, étudiant à Édesse. Dans cette lettre, Bar Sarapion rappelle, entre autres, que les Juifs auraient exécuté leur « sage roi », qui avait tenté de leur donner de nouvelles lois. Aussi (selon l’écrivain syriaque) Israël a-t-il été puni: le royaume lui fut arraché, une grande partie du peuple massacrée et le reste dispersé à travers le monde. » Messori page 200.
[12] « Plus utile, mais problématique, est la lettre du Syrien Mara bar Serapion, de la région de Samosate (où il était prisonnier des Romains) à son fils étudiant à Odessa. Mara demande, de façon rhétorique, en quoi cela a pu aider les Athéniens d’avoir tué Socrate, ou les gens de Samos d’avoir brûlé Pythagore, « ou les Juifs d’avoir crucifié leur roi sage, puisque depuis lors leur royaume a été enlevé ». Mara parle ensuite de la manière dont Dieu s’est vengé dans chaque cas; en particulier, « les Juifs furent déportés et chassés de leur royaume, vivant depuis lors en diaspora ». En fait, chacune des trois victimes a survécu: Socrate à travers les écrits de Platon; Pythagore par la statue d’Héra; « et le sage roi par la loi nouvelle qu’il a donnée ». La date de la lettre de Mara est déterminée à partir des événements dont elle fait état, notamment la déportation des Juifs de Judée, probablement une allusion aux lendemains de la destruction du Temple en 70, ou de la construction de la ville romaine d’Aelia Capitolina sur le site de Jérusalem après 135. Certains spécialistes datent la lettre de 72-74 (Blizler, Trial. p. 34-38; Prozess, p. 52-57); d’autres optent pour la fin du IIe siècle au plus tard; Léon-Dufour (DSB 6, p. 1422-1423) la situe aux alentours de 260. Il n’y a pas d’indice d’une dépendance directe de cet auteur à l’égard des évangiles chrétiens; mais plus la date est tardive, plus une dépendance indirecte est possible. Pourtant, « roi sage » n’est apparemment pas une désignation chrétienne. » Raymond E. Brown, La mort du Messie, Encyclopédie de la Passion du Christ, page 438. Bayard 2005 (édition américaine de 1994).
[13] « Plus anciennement encore, un certain Thallus, un Samaritain, auteur d’une chronique qui semble écrite à Rome vers 60, polémique contre les chrétiens au sujet de la nature des ténèbres qui auraient accompagné la mort de Jésus. » Messori page 202.
[14] Voici ce que Goguel dit de cette datation : « Müller, Schürer, Christ et, après eux, Eisler identifient ce Thallus à l’affranchi de Tibère d’origine samaritaine dont parle Josèphe, qui avait prêté une grosse somme d’argent à Agrippa peu avant que celui-ci ne devint roi de Judée. Le nom de Thallus n’est pas assez commun pour qu’il faille juger téméraire l’identification du personnage nommé par Josèphe et l’auteur de la Chronique utilisée par Julius Africanus et Eusèbe. Affranchi de Tibère, s’étant trouvé avant 37 en situation d’avancer une forte somme à Agrippa, Thallus ne devait pas être alors un tout jeune homme. On reste dans la limite des vraisemblances en supposant qu’il a pu survivre de 15 à 20 ans au maître qui l’avait affranchi, ce qui placerait le terminus ad quem probable de sa mort aux environs de l’an 60. Comme il n’y a aucune raison de penser que Thallus ait attendu les derniers mois de sa vie pour rédiger sa Chronique, il semble que c’est vers le milieu du premier siècle de notre ère qu’elle a du être écrite, et cela à Rome. Or, nous l’avons vu, Thallus polémiquait contre l’interprétation que les Chrétiens donnaient des ténèbres qui avaient accompagné la mort de Jésus. C’est donc que ce détail était connu à Rome au milieu du premier siècle, dans un cercle qui touchait de près à la maison impériale. Un détail accessoire comme celui dont il s’agit ne peut avoir été conservé et transmis que dans le cadre d’un récit de la passion. »
Goguel ajoute en note : « Antiquités juives 18,6,4. Il est vrai que Thallus n’est qu’une conjecture qu’adoptent, à l’exception du seul Niese, tous les éditeurs de Josèphe depuis le XVIIIe siècle. Les manuscrits, à part un seul (E qui ne contient d’ailleurs pas le texte mais un résumé des Antiquités), ont allos samaritain. Aucun autre samaritain n’étant mentionné dans ce qui précède et le nom de Thallus étant attesté par des inscriptions pour des serviteurs de la maison de Claude, la correction en Thallos samaritain paraît extrêmement naturelle. H. A. Rigg met une virgule entre alloz et Samareuz et traduit: Il y avait un autre personnage, Samaritain de race. Cette interprétation est possible mais elle ne s’impose pas et elle ne nous paraît pas probable. »
Maurice Goguel, Jésus, page 71. Payot, 1950.
[15] J’ai déjà évoqué ces deux documents ici.