Dans Décadence (Flammarion 2017), Michel Onfray conteste l’existence de Jésus. Jean Marie Salamito (Normalien, agrégé de lettres classiques, professeur d’histoire du christianisme antique à la Sorbonne) lui répond dans Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponse sur Jésus et le christianisme (Salvator 2017).
C’est l’occasion pour cet historien de donner quelques arguments en faveur de l’existence de Jésus (pages 37 et 38). Ils ne m’ont pas convaincu.
Premier argument
Tous les historiens spécialistes de Jésus pensent que Jésus a existé donc Jésus a existé:
« … Les chercheurs de tous les continents, malgré les désaccords qu’ils gardent sur de multiples autres points, considèrent unanimement que Jésus a existé. Les contredire revient à défier la vraisemblance. […] Dans un autre domaine, qui oserait prétendre, de nos jours, que le soleil tourne autour de la terre ? Qui voudrait se former à la médecine avec des manuels du début du siècle dernier ? […] Il n’existe à peu près aucune chance pour que Michel Onfray (ou quiconque) ait raison à lui tout seul, ou presque seul, contre toute la communauté scientifique internationale, contre un libre consensus intellectuel qu’aucune autorité au monde ne contrôle ni ne manipule. »
J.-M. Salamito. Monsieur Onfray au pays des mythes. Pages 17 et 18.
Il est exact que tous les historiens spécialistes de Jésus considèrent que Jésus a existé. J.-M. Salamito a raison de le signaler mais l’inexistence de Jésus n’est pas pour autant un « défi à la vraisemblance ».
J.-M. Salamito devrait savoir que la connaissance scientifique et la connaissance historique ne sont pas définitives et progressent par remises en questions des certitudes précédentes. Cela n’arrive pas tous les jours mais cela arrive. L’exemple typique d’une telle révolution est l’affirmation par Galilée, contre toute la science de son époque, que la terre tourne autour du soleil. Plus près de nous Alfred Wegener (1880-1930), qui n’était pas géologue, a révolutionné la géologie par son idée de la dérive des continents. Il avait raison, l’ensemble de la communauté des géologues avait tort.
Les révolutions scientifiques font partie de l’évolution des connaissances. On ne peut pas affirmer qu’« il n’existe à peu près aucune chance pour que » le savoir de toute une communauté d’historiens doive être modifié.
J.-M. Salamito affirme enfin qu’aucune autorité ne contrôle la recherche sur le Jésus de l’histoire. Je veux bien le croire mais cette affirmation doit être nuancée.
D’une part la recherche est pour une large part réalisée par des universités catholiques qui emploie des chercheurs catholiques. L’Église a de fait une autorité sur les chercheurs qu’elle emploie. Si vous pensez que les chercheurs employés par des institutions catholiques bénéficient d’une totale liberté, examinez ici la démarche de Pierre Grelot.
D’autre part, la recherche est assurée pour une part encore plus grande par des chercheurs qui ont la foi. C’est normal, inévitable, puisque les chercheurs croyants s’intéressent particulièrement à Jésus. On peut néanmoins supposer que dans un milieu où la proportion de croyants est forte [1], avancer certaines positions est incompatible avec le bon déroulement d’une carrière de chercheur.
Enfin, que se passerait-il si la communauté des historiens travaillant sur Jésus admettait que Jésus n’a probablement pas existé ? Le sujet d’étude de ces historiens se réduirait alors à pas grand chose et les crédits aussi. « Toute la communauté scientifique internationale » ne souhaite sans doute pas scier la branche sur laquelle elle est assise. Je ne dis pas que ces historiens sont malhonnêtes, je dis seulement que le consensus intellectuel que constate Jean-Marie Salamito peut aussi être forgé par des intérêts qui ne sont pas ceux d’une connaissance totalement désintéressée.
Face à la contradiction, l’historien ne doit pas utiliser l’argument d’autorité. S’il veut répondre, il doit argumenter. C’est ce que fait Jean-Marie Salamito : « Je vais tout de même accorder à son livre le bénéfice du doute. Par conscience, j’analyse maintenant ses positions. » Page 18.
Malheureusement, il ne donne que des arguments très faibles. Jugez plutôt.
Deuxième argument
« Pontius Pilatus ayant gouverné la Judée pendant dix ans, de 26 à 36, on peut penser qu’il avait de bonnes relations avec Tibère, et qu’il le tenait au courant de ce qu’il faisait. Il est donc probable qu’il ait adressé à l’empereur un rapport sur la crucifixion de cet étrange personnage dénoncé comme « roi des juifs », et que l’on ait alors parlé de Jésus dans l’entourage impérial. Tacite aura pu utiliser une source de cette époque. » (page 37).
Effectivement, si Jésus a existé, Ponce Pilate a pu envoyer un rapport à l’empereur Tibère et Tacite a pu consulter ce rapport. C’est possible. Il est tout aussi possible que Tacite ait été informé par des chrétiens. On ne peut pas savoir.
Le témoignage de Tacite n’est donc pas une preuve de l’existence de Jésus.
Troisième argument
« Venons-en à Flavius Josèphe » (même page) qui, à la fin du Ier siècle a écrit à propos de Jésus un célèbre texte appelé le Testimonium Flavianum. J’ai dit ici que Jean-Marie Salamito commet à propos de ce texte une erreur de raisonnement assez étonnante de la part d’un érudit de son calibre.
Pourtant l’important n’est pas là. « L’authenticité de ce passage a suscité de nombreuses discussions » (page 38) et Jean-Marie Salamito ne parle que de cette authenticité : « on a un texte cohérent, pleinement conforme au style de Josèphe, parfaitement vraisemblable. Et il devient clair que cet historien juif connaissait l’existence de Jésus ».
Jean-Marie Salamito ne semble pas avoir pensé que, comme Tacite, Flavius Josèphe qui vivait à Rome depuis plus de vingt ans quand il a écrit ce texte, a très bien pu être renseigné sur Jésus par des chrétiens de Rome.
Quatrième argument
« Je pourrais ajouter d’autres arguments en faveur de l’historicité du Galiléen, par exemple signaler qu’aucune source juive ou païenne des premiers siècles ne dénonce en celui-ci un personnage inventé ».
L’argument est un classique : dans l’Antiquité le christianisme eut de nombreux adversaires et, effectivement, aucun de ces adversaires ne conteste l’existence de Jésus.Jean-Marie Salamito y voit un argument en faveur de l’existence de Jésus.
D’autres personnages de l’Antiquité n’avaient pourtant pas d’existence historique (Romulus, Hercule, Dionysos etc.) sans que personne, à l’époque, n’ait pensé à douter de leur existence.
Ce n’est pas moi qui l’affirme mais l’historien Paul Veyne, professeur au Collège de France et immense connaisseur de la littérature de l’Antiquité : « Voici le paradoxe : il y a eu des esprits pour ne pas croire à l’existence des dieux, mais jamais personne n’a douté de celle des héros […] [avant le quatrième siècle de notre ère] absolument personne, chrétiens compris, n’a émis le moindre doute sur l’historicité d’Enée, de Romulus, de Thésée, d’Hercule, d’Achille et même de Dionysos… » [2].
Les auteurs de l’Antiquité ne raisonnaient pas comme nous, il ne faut pas imaginer ce qu’ils auraient du dire.
Cinquième argument
« Je dois aussi rappeler que nous avons les différents témoignages du Nouveau Testament, dont les épîtres authentiques de Paul, qui sont encore plus anciennes que les quatre Évangiles ».
Je veux bien croire que certaines des épîtres attribuées à Paul sont plus anciennes que les évangiles mais l’argument est bien faible. L’ancienneté de ces lettres ne nous garantit pas qu’elles parlent d’un personnage ayant existé.
Conclusion
Jean-Marie Salamito achève son livre par une offre de débat avec Michel Onfray.
J’offre à Jean-Marie Salamito mes modestes colonnes pour réponde à mes critiques.
Retour à l’accueil
[1] Raymond E. Brown, un très grand nom de l’étude du Nouveau Testament, sans doute le spécialiste le plus respecté, observe que beaucoup de chercheurs « acceptent l’inspiration, l’estimant importante pour l’interprétation de l’Écriture ». Il estime qu’ils « constituent sans doute la majorité des enseignants et des auteurs dans le domaine du Nouveau Testament ».
Il s’agit ici de l’inspiration divine: dieu a inspiré aux auteurs des évangiles ce qu’ils ont écrit.
Brown, Que sait-on du Nouveau Testament? Page 67 et particulièrement la note 22.
[2] Paul Veyne. Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Seuil, 1983. Page 53.
Vous ne pouvez pas passer sous silence le livre de Nanine Charbonnel. L’écriture laisse certes à désirer mais l’érudition, la puissance de l’argumentation parviennent à convaincre le lecteur : oui, Jésus est bel et bien une figure de parchemin. C’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage : Jésus-Christ, sublime figure de papier. Du coup tout s’éclaire, parce que tout « colle ». Pour moi, une révélation.