Les spécialistes sont-ils partiaux ?

Contester l’existence de Jésus ne va pas de soi. En témoigne cette réaction :

« Ah mais j’hallucine !!

J’avoue, j’ai pas lu ce bouquin, rien que le titre m’a fait faire un bond […] Et là voir un type qui écrit que Jésus a tout du mythe alors que pratiquement tous les universitaires s’accordent à dire qu’il a existé… Nan ça ne passe pas. »[1]

Il s’agit de l’argument d’autorité : les savants reconnus ont raison. Cet argument n’est pas recevable. Même le plus grand savant peut se tromper. Celui qui détient l’autorité n’est pas dispensé d’argumenter.

Il est néanmoins indiscutable que j’affirme une chose incroyable : un amateur, et quelques autres amateurs avec lui, peut avoir raison contre les chercheurs professionnels.

 

Cela appelle trois commentaires.

– Il existe des arguments forts contre l’existence de Jésus. C’est l’objet principal d’Une invention nommée Jésus et j’y renvoie le lecteur.

– Les arguments en faveur de l’existence de Jésus sont très faibles. C’est un fait qui me semble établi. Encore une fois je renvoie le lecteur à Une invention nommée Jésus.

– Comment expliquer que l’élite de la recherche sur le Jésus historique se contente d’arguments et de raisonnements très faibles ?

Je n’ai aucune certitude mais on peut penser que la foi de certains chercheurs spécialisés dans le Jésus historique les conduise à un regrettable manque de rigueur.

Consultons la biographie des chercheurs qui écrivent sur le Jésus historique. On constate, même si ce n’est pas une règle générale, que

– beaucoup sont prêtres ou pasteurs protestants.

– beaucoup travaillent au sein d’un institut de recherche catholique ou protestant.

Cela n’a rien d’étonnant. D’une part les historiens peuvent choisir leur domaine de recherche parmi leurs centres d’intérêt. D’autre part les universités catholiques et les facultés protestantes sont prêtes à financer des recherches sur Jésus.

Alors, la foi interfère-t-elle avec la recherche sur le Jésus historique ? Disons que cela arrive.

 

Un exemple, linspiration

Voici le point de vue de la foi : la Bible est « composée sous l’inspiration du Saint-Esprit, elle a Dieu pour auteur »[2]. Rappelons que ce que l’on sait sur Jésus provient essentiellement des évangiles, une partie de la Bible.

Le point de vue de la foi ne devrait pas intervenir dans le travail des historiens. Cependant beaucoup de chercheurs « acceptent l’inspiration, l’estimant importante pour l’interprétation de l’Écriture »[3], même s’ils s’en défendent[4].

Je trouve inquiétant que des historiens mélangent leur foi et leurs travaux.

 

Un autre exemple, lautorité du pape

Certains faits historiques, peu nombreux, sont « intrinsèquement liés au dogme. Hormis le fait généralement accepté que Jésus a vécu et a été crucifié, les seuls faits le concernant qui aient été intégrés dans un dogme précis semblent être qu’il ne fut pas conçu d’un père humain, que son corps dans la tombe ne connu pas la corruption et que, lors de son dernier repas avant sa mort, il établit un lien entre le pain et le vin et sa chair et son sang » [5] ; [6].

L’avis est celui de Raymond E. Brown, sans doute le spécialiste du Jésus historique le plus réputé et le plus respecté. Il fut membre de la Commission biblique pontificale, signe de la très grande estime que lui porte le Vatican. En outre, l’ouvrage dont est extrait cette citation a reçu l’imprimatur, c’est-à-dire l’approbation de la hiérarchie catholique. Bref, l’avis est autorisé.

Il en ressort que l’existence de Jésus est « intrinsèquement liée au dogme ». Les catholiques sont donc tenus de la regarder comme une vérité incontestable.

Cela engage les spécialistes catholiques du Jésus historique : « Lorsqu’ils sont catholiques, ils[7] conduisent cette recherche de la vérité dans le cadre général des enseignements traditionnels de l’Église, en toute fidélité à cette tradition »[8]; ils travaillent « dans le cadre de la liberté que l’Église leur accorde »[9].

Certes tous les spécialistes ne sont pas catholiques mais je trouve anormal qu’une religion estime avoir une autorité sur une partie des chercheurs.

 

Conclusion

L’influence de la religion sur la connaissance est une redoutable machine à produire de l’erreur (il y a des précédents). En d’autre temps, c’était tout le savoir qui était soumis aux exigences de la foi. La science, et la société en général, ont su s’émanciper mais, qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, la recherche sur le Jésus historique n’a pas totalement rompu ses liens avec la religion.

Voilà qui peut expliquer que, sur un sujet sensible, les spécialistes tiennent des propos bien peu assurés. Cela ressemble fort à un banal conflit d’intérêts : il y a sans doute des choses qu’un chercheur n’a pas intérêt à dire, du moins s’il est soucieux de sa foi et/ou de son employeur et/ou de sa carrière.

 

Est-ce grave ?

Peut-être pas. Des chercheurs partiaux peuvent avoir raison. Il ne s’agit donc pas d’un argument contre l’existence de Jésus.

C’est juste un peu inquiétant pour la crédibilité de la recherche… et cela rend plus acceptable l’idée que des amateurs puissent avoir raison contre des historiens professionnels.

 

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[1] Ce texte provient des critiques de livres faites par les visiteurs du site d’Amazon. Il s’agit de la réponse d’Isara à un commentaire de LOKI sur la première édition d’Une invention nommée Jésus.

[2] Constitution dogmatique Dei Verbum. Concile Vatican II, 1965. Voir page 79.

[3] Raymond E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament? Page 67, particulièrement la note 22 : « ils constituent sans doute la majorité des enseignants et des auteurs dans le domaine du Nouveau Testament ».

Brown est un des meilleurs spécialistes du Jésus historique.

[4] Ainsi Jacques Schlosser dans Le Cas Jésus Christ. Bayard, 2002.

L’auteur commence par faire sienne une certaine approche: « J. Dupont propose d’entendre par ”Jésus de l’histoire” ce qui, du Jésus tel qu’il s’est manifesté de son vivant, peut être perçu aujourd’hui par lexégète travaillant en pur historien. » (note 4 page 76, c’est moi qui souligne). Si j’ai bien compris, l’exégète travaille en pur historien quand sa foi n’intervient pas dans ses travaux.

Quelques pages plus loin, on apprend que « Les évangiles n’apparaissent comme tels que tardivement, à une époque où le discours chrétien a été fécondé par lEsprit… » (page 95, c’est moi qui souligne). Ici, c’est le croyant qui parle.

[5] Raymond E. Brown. Croire en la Bible à lheure de lexégèse. Cerf, 2002. Édition américaine de 1981. Page 63.

[6] Brown poursuit en excluant la virginité perpétuelle de Marie des faits historiques liés au dogme: « La définition par l’Église de la virginité préservée de Marie est faite en des termes tels que les “frères” de Jésus dont parle le Nouveau Testament ne peuvent pas avoir été les enfants de Marie (une proposition que j’accepte en tant que catholique) mais au nom de quelle autorité l’Église peut-elle nous dire, de façon positive, qui ils étaient? »

[7] « Ils », ce sont « les théologiens » et cela désigne « aussi bien les exégètes que ceux qui s’occupent de théologie systématique ou dogmatique, de théologie morale ou d’histoire de l’Église – autrement dit, tous ceux qui contribuent à l’étude scientifique de la révélation de Dieu » (Ibid. page 76). Les spécialistes du Jésus historique en font partie.

[8] Ibid. Page 90.

[9] Ibid. Page 97.

 

 

 

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