Wikipedia 1: un exemple très net de désinformation

Commençons par le pire : la combinaison d’une argumentation défaillante et d’une désinformation assumée.

La méthode utilisée ici est un classique de la désinformation : la citation tronquée. Wikipedia cite un paragraphe d’un livre d’un historien en supprimant les deux premières phrases. Ces deux premières phrases préviennent le lecteur que tout ce qui suit n’est pas bien assuré. Sans ces précautions, le texte devient beaucoup plus affirmatif que ne le veut son auteur. Nous parlerons ensuite du sens de ce texte mais, pour l’instant, jugez de l’honnêteté du procédé.

 

Dans le livre, le chapitre commence ainsi :

Quelle est la valeur de tous ces témoignages historiques? Très faible, on doit l’admettre, à la lumière de la confusion qui règne à propos des dates, des personnages et des faits qui caractérisent ces histoires rabbiniques, et à l’étrangeté de beaucoup de ce qu’elles racontent. Mais il semble clair qu’

 

Wikipedia écrit ceci :

« L’historien R.T. France estime qu’« au plus tard au début du second siècle, Jésus était connu et exécré comme un faiseur de miracles et un prédicateur qui avait rassemblé de nombreux disciples, et avait été justement exécuté comme « quelqu’un qui détournait Israël de son chemin ». Aussi peu flatteur que cela soit, cela constitue, de façon déformée, une preuve de l’impact des miracles et de l’enseignement de Jésus. La conclusion, selon laquelle cela repose uniquement sur les prétentions des chrétiens, et que « les juifs du second siècle adoptèrent sans le remettre en doute le présupposé chrétien que Jésus avait réellement existé » est uniquement dictée par un scepticisme dogmatique. Il est peu vraisemblable que ces polémiques, reprenant souvent des « éléments » différents de ceux auxquels les chrétiens croyaient, soient apparus en moins d’un siècle au sujet d’une figure inexistante ».

 

Ce passage se trouve à la fin du chapitre L’ancienneté des sources non chrétiennes de l’article de Wikipedia.

Référence : Richard Thomas France. The Evidence for Jesus. Hodder & Stoughton, 1999 (première édition de 1986). Page 38.

J’ai signalé ce problème à Wikipedia le 13 juin 2011 (il en reste la trace dans la page de discussion de l’article). La citation a été complétée puis à nouveau mutilée quelques jours plus tard.

Wikipedia trafique cette source pour faire croire qu’il existe une preuve de l’existence de Jésus. Wikipedia le sait et Wikipedia s’en moque. Cet article est militant, la connaissance n’est pas sa priorité.

Je déplore que des militants verrouillent cet article pour faire croire que l’existence de Jésus est établie. Je le déplore mais cela ne m’étonne pas. Je trouve plus surprenant qu’il ne se soit trouvé personne dans la hiérarchie de Wikipedia pour mettre un terme à ce scandale. Wikipedia n’est-il donc pas soucieux de sa réputation ?

 

Pourquoi le Talmud ?

Cela n’apparait pas clairement dans l’article mais la citation de R. T. France est la conclusion d’un chapitre sur le Talmud.

Le Talmud est un immense recueil d’écrits juifs datant de l’Antiquité. On a cherché partout des témoignages fiables sur Jésus. On a donc cherché dans le Talmud et on y a trouvé quelques mentions de Jésus. Les historiens que j’ai consultés sont très pessimistes sur la qualité de ces témoignages. Ils estiment que le Talmud n’a pas été écrit pour faire de l’histoire [1], que son témoignage sur Jésus est tardif [2], qu’il n’est pas un témoignage direct mais qu’il s’inspire du discours chrétien [3].

Un des auteurs de l’article de Wikipedia a cependant déniché et cité un historien (R. T. France) qui voit dans le Talmud une preuve de l’existence de Jésus. Cet historien, comme ses collègues, précise que le Talmud n’est pas bien fiable. Comme je l’ai dit plus haut, cette précision a été supprimée de l’article de Wikipedia.

Où R. T. France voit-il que Jésus était considéré comme « un faiseur de miracles » ?

Wikipedia mentionne un texte talmudique mais ne dit rien de son contenu. Cela ne facilite pas la compréhension du lecteur non initié. Le texte en question est TbSanhedrin 43a. Il y est question du procès de Jésus qui « va être lapidé, parce qu’il a pratiqué la sorcellerie et qu’il a séduit et égaré Israël ». La sorcellerie désigne les miracles de Jésus. On peut donc affirmer que le texte TbSanhedrin 43a considère Jésus comme un faiseur de miracles.

Où R. T. France voit-il une preuve ?

Ici aussi le lecteur non initié ne peut pas comprendre. Le raisonnement est le suivant : les auteurs du Talmud détestaient les chrétiens et détestaient Jésus. Cela apparait clairement dans les textes. Pourtant il est écrit dans le Talmud que Jésus a fait des miracles.

Qu’un ennemi de Jésus reconnaisse que Jésus a fait des miracles, c’est, pour R. T. France, la preuve (« preuve de façon déformée ») que Jésus a fait des miracles et donc qu’il a existé : si Jésus n’avait pas fait de miracle, ses adversaires l’auraient signalé, dans le Talmud et ailleurs.

Ce serait peut-être convainquant si cet auteur juif ennemi de Jésus reconnaissait ainsi un mérite à Jésus. Ce n’est pas le cas puisque les miracles de Jésus, la sorcellerie, constituent un des crimes qui lui valent d’être condamné à mort.

Une autre objection est assez naturelle : il est possible que les auteurs du Talmud ne savaient, sur Jésus et ses miracles, rien de plus que ce que disaient les Chrétiens. Comme je l’ai dit plus haut à la note 3, c’est l’avis de la plupart des historiens qui ont étudié le Talmud.

R.T. France se débarrasse de l’objection en l’attribuant à des adversaires bornés [4]. C’est insuffisant.

Le point de vue de R. T France peut cependant être présenté dans l’article de Wikipedia puisqu’il émane d’un historien professionnel. J’ai tenté de signaler le point de vue opposé en citant un autre historien professionnel, beaucoup plus estimé. Cela fut refusé pour des raisons arbitraires que le lecteur intéressé peut découvrir à la note [5].

 

 

[1] « le corpus talmudique n’est pas, à proprement parler, une littérature historique au sens où on peut l’entendre depuis le XIXe siècle. C’est d’abord un corpus narratif et légaliste, qui n’a aucunement vocation de faire œuvre d’historicité » (Dan Jaffé. Le Talmud et les origines juives du christianisme. Cerf, 2007. Page 195).

« ces passages mêmes ont peu de valeur historique, car ils tiennent bien plus du réquisitoire et de la polémique contre le fondateur d’une secte haïe que de la relation objective de l’historien » (Joseph Klausner. Jésus de Nazareth. 1922. Page 16).

« Mais les interroger sur Jésus, c’est pratiquement à chaque fois poser une question hors sujet à un ensemble de textes qui ont légitimement leurs propres préoccupations. Le cadre dans lequel se situe ces documents est avant tout l’histoire du judaïsme et non l’histoire de Jésus » (John P. Meier. Un certain Juif Jésus. Tome 1. Page 66).

[2] Jésus « est absent de la Mishna et de la Tosephta [des parties du Talmud] dont les compilations datent de la fin du IIe siècle et du début du IIIe siècle], et on ne le rencontre que dans les compositions plus tardives du Talmud de Jérusalem et du Talmud de Babylone » (Simon Claude Mimouni. Le christianisme des origines à Constantin. Puf, 2006. Page 76).

« Notre collection la plus ancienne de matériaux rabbiniques, la Mishna, date de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle apr. J.C. ; toutes les autres collections lui sont postérieures. Il ne viendrait pas à l’idée de la plupart des commentateurs chrétiens de prétendre que les Pères de l’Église du début du IIIe siècle avaient sur Jésus une connaissance directe historiquement fiable qui aurait été indépendante du Nouveau Testament. Pour la même raison, il faut a priori se montrer prudent vis-à-vis de certaines affirmations selon lesquelles de telles traditions indépendantes se trouveraient dans un document juif de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle » (John P. Meier. Un certain Juif Jésus. Tome 1. Page 66).

[3] Le Talmud « ne nous fournit aucune source indépendante pour notre enquête sur le Jésus historique » (John P. Meier. Un certain Juif Jésus. Tome 1, 1991. Page 70).

« Le point de vue de la plupart des spécialistes du Talmud, est que tous ces passages dérivent de traditions chrétiennes et ne constituent pas une tradition juive indépendante » (Rabbi Samuel Sandmel. We Jews and Jesus. New York, Oxford University, 1965. Note 1 page 28).

« Les chercheurs juifs sont, par conséquent, d’accord avec les chercheurs chrétiens pour dire que le Talmud ne peut être utilisé comme une source pour la vie de Jésus ; il ne présente rien de positif en plus de ce que nous connaissons déjà par les Évangiles. Ce qu’il apporte, c’est une caricature intentionnellement polémique » (Gösta Lindeskog. 1938. Cité par John P. Meier. Un certain Juif Jésus. Tome 1. Note 55 page 314).

[4] Suite et fin de la citation : « La conclusion, selon laquelle cela repose uniquement sur les prétentions des chrétiens, et que « les juifs du second siècle adoptèrent sans le remettre en doute le présupposé chrétien que Jésus avait réellement existé » est uniquement dicté par un scepticisme dogmatique. Il est peu vraisemblable que ces polémiques, reprenant souvent des “éléments” différents de ceux auxquels les chrétiens croyaient, soient apparus en moins d’un siècle au sujet d’une figure inexistante »

[5] « dans les sources rabbiniques les plus anciennes, on ne trouve aucune référence claire ni même probable à Jésus de Nazareth » (John P. Meier, Un certain Juif Jésus, page 70).

John P. Meier étant un auteur reconnu, d’une notoriété très supérieure à celle de R. T. France et déjà cité dans l’article, cette citation me semblait acceptable. Et bien non. Voici ce que l’on m’a opposé :

« Vous instrumentalisez Meier à fins militantes en décontextualisant ses propos, dissimulant son point de vue sur l’existence historique de Jésus, etc. tout cela pour votre argumentation mythiste. Faites tout cela sur votre site et suscitez-y le débat ou l’intérêt (ça va être difficile, vu la qualité de l’argumentaire et des sources…) ici, sur wp.fr, si vous persévérez à militer et surtout déformer et trahir les chercheurs, je gage que nous serons bientôt lassés de perdre notre temps pour de telles manœuvres, aussi grossières. » (Page de discussion, 30 mars 2010).

Qu’est-ce que cela signifie ? Que signifie « instrumentaliser Meier » ?

Comme d’habitude, il faut décoder. Meier croit en l’existence de Jésus. S’il existe dans les écrits de Meier un élément qui ne soutient pas l’existence de Jésus, cet élément ne doit pas être signalé. C’est cela « instrumentaliser Meier ». Cela n’a rien à voir ni avec l’objectivité ni avec le règlement de wikipedia.

 

 

La suite de Wikipedia est .

Retour à Wikipedia

Retour à l’accueil

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.